Journée Internationale des enfants soldats
Philippe Chapleau est écrivain et journaliste français, spécialisé sur les questions de défense. Il a publié de nombreux ouvrages consacrés aux questions du mercenariat et à la privatisation de la guerre, et a collaboré à l’écriture de plusieurs ouvrages collectifs, sur les questions de défense.
Correspondant pendant huit ans en Afrique du Sud, il est journaliste pour Ouest-France et traite des sujets de défense et de politique étrangère. Il anime notamment le blog Ligne de défense et intervient comme formateur au profit d’institutions militaires africaines.
Il a, sur ce sujet, écrit un essai (broché) Enfants-soldats. Victimes ou criminels de guerre ? (2007, un livre sur les enfants dans le Résistance (2008) et un article Enfants-soldats, ces armes de destruction pas très mineures, pour la revue Inflexions Civils et militaires : pouvoir dire (n°37, 2018), de l’armée de Terre.
Dans le cadre de la journée internationale des enfants soldats, et pour faire suite à notre podcast : « quelle situation pour les enfants-soldats d’hier, d’aujourd’hui et de demain ? » où nous avons reçu le témoignage de Junior Nzita Nsuami, ex enfant-soldat, nous avons pu interroger Monsieur Chapleau sur la dimension géopolitique de ce phénomène.
Rencontre avec Philippe Chapleau
Reporter en Afrique australe, Philippe Chapleau rencontre au Mozambique, pour la première fois, des jeunes combattants armés. Souvent violents, parfois incontrôlables, c’est cependant leur distance et leur renfermement qui marquent le journaliste. Quand bien même les vieux soldats acceptent de livrer un témoignage sur leur quotidien sanglant, établir la communication avec les plus jeunes s’avère presque impossible. Partant du constat que le recrutement des enfants-soldats a culminé dans la seconde moitié du XXème siècle et regroupe encore aujourd’hui près de 300 000 enfants, Philippe Chapleau nous livre son analyse afin de mieux saisir les enjeux de ce phénomène qui fait de l’enfant un potentiel de destruction particulièrement efficace. Il insiste sur le fait que sous le terme d’enfants-soldats se cachent parfois des réalités et des acteurs autres que ceux généralement sous-entendus.
D’un point de vue historique d’abord, la conjecture entre deux facteurs favorise le recrutement des mineurs.
1- D’un côté, la croissance démographique de la seconde moitié du XXème siècle explique un changement du statut social de l’enfant. En effet, jusqu’au XIXème siècle, l’important taux de mortalité infantile, les épidémies, les guerres et une faible espérance de vie obligeaient à préserver les enfants des combats. Ils apparaissaient indispensables à la survie de la communauté dont ils étaient les reproducteurs et les soldats futurs. Or, l’explosion démographique au XXème siècle, notamment sur le continent africain où les mineurs représentent 47 % de la population, a conditionné la situation mondiale aux recrutements d’enfants.
2- D’un autre côté, à la suite de la Seconde Guerre Mondiale, l’armement a connu une importante évolution technologique. L’allègement du poids, la facilité d’utilisation et d’entretien des armes ont grandement contribué à les rendre physiquement accessibles aux petits gabarits. Ainsi, une kalachnikov tenue en bandoulière sans chargeur pèse autant qu’une trottinette…
Cependant, les zones de conflits dans lesquelles les enfants sont recrutés ont également évolué. Si l’Afrique demeure le continent où le phénomène est encore le plus répandu, l’Amérique Latine, avec les FARC de Colombie, ou l’Asie, au Népal par exemple, ont connu d’importants groupes armés regroupant filles et garçons dans les années 1980-1990. La réduction des guerres civiles dans ces pays a permis un nette diminution du nombre d’enfants-soldats. Toutefois la persistance de conflits au Sahel et en Afrique de l’Ouest y empêche une réduction conséquente des mineurs dans les groupes armées. Le cas de la République Démocratique du Congo développé dans notre podcast avec l’ancien enfant soldat Junior Nzita Nsuami est révélateur de cette persistance.
Néanmoins, aujourd’hui, seuls les enfants engagés dans des conflits civils armés sont considérés par la Communauté Internationale comme des enfants-soldats. Or, en Amérique Latine par exemple, si le nombre d’enfants engagés dans un conflit civil a fortement diminué, celui de mineurs armés au service de gangs et des groupes mafieux est de plus en plus élevé. Aussi faut-il comprendre qu’on ne peut dissocier un enfant armé d’un autre sous prétexte qu’il participe à une guérilla entre bandes mafieuses plutôt qu’à un affrontement entre deux forces armées. Autrement dit, un enfant-soldat ne se définit pas par le type de conflit auquel il participe mais plutôt par son mode de recrutement et les missions qui lui sont assignées. Que cela soit dans une armée étatique, non étatique, un groupe rebelle, terroriste ou dans un gang, que l’enfant combatte lors d’une guerre civile ouverte, au service d’une idéologie, ou pour des groupes mafieux rivaux, ses missions restent les mêmes. Les enfants-soldats fournissent à ces groupes une chair à canon pratique et peu formée. Il servent également dans la logistique, l’approvisionnement, le renseignement et, dans le cas des jeunes filles, souvent d’esclaves sexuelles.
Si la plupart des enfants-soldats sont enrôlés de force, des raisons de survie ou d’idéologie, très minoritaires, poussent également à rejoindre les contingents. Philippe Chapleau emploie par ailleurs le terme « d’arme de destruction massive » pour parler des raisons stratégiques qui poussent au recrutement d’enfants par les groupes armées. Ceux-ci comptent d’abord sur l’effet psychologique des enfants sur les populations et les groupes de soldats ennemis peu habitués à combattre des jeunes. Le témoignage d’un officier français en Ituri (RDC) illustre cette force paralysante de enfants-soldats. Lorsque son convoi se fait arrêté par un barrage d’enfants, la colonne de véhicules français se voit obligé de rebrousser chemin afin d’éviter une attaque sur des mineurs. Ensuite, ces enfants plongés dans la violence et parfois la drogue distinguent difficilement les notions de bien et de mal, ce qui permet à leur chefs de les manipuler plus facilement. La place des jeux ou de l’imaginaire militaire est centrale, comme en témoignent les noms que se donnent les enfants-soldats. Celui ayant contrôlé l’officier français dans le cas cité précédemment se disait être dénommé « Rambo ».
La situation reste donc préoccupante mais les Organisations Internationales ont toutefois cherché à convaincre les armées nationales de ne plus recruter de mineurs par la mise en place de règles d’engagement interdisant l’engagement d’enfants dans les théâtre d’opérations. De plus, le recrutement d’enfant est considéré comme un acte criminel depuis 1997. En outre, lors de la Conférence de Paris, en février 2007, cent huit États membres de l’ONU se sont engagés à « libérer de la guerre » les enfants associés aux institutions militaires et aux groupes armés. Enfin, des programmes de réinsertion et des commission de vérité et réconciliation ont pour but de recréer un lien entre les enfants-soldats et les communautés dans lesquels ils ont dû perpétrer des massacres. La réinsertion est en réalité très complexe et les moyens insuffisants pour mette en place des programmes durables et d’envergure. Un ancien enfant-soldat témoignait de ne pas arriver à se séparer d’une arme, même pour aller à l’école. Enfin, n’oublions pas de citer les nombreuses pertes d’enfants morts au combat et de jeunes qui, n’ayant connu que les armes, prolongent leur activités militaires, dans des armées étatiques ou non, ou dans d’autres groupes criminels.
Enfin, lorsque nous demandons à M. Chapleau de conclure, il refuse. En effet, comment terminer son propos sur un phénomène aussi loin d’être achevé ? Il rappelle que ces garçons et ces filles enrôlés dès treize ans sont avant tout des victimes et qu’il ne faut dissocier les enfants des armées rebelles des enfants des groupes mafieux. Ces jeunes des gangs n’ont aujourd’hui pas de statut, et aucune résolution de la part de l’ONU n’a été prise à leur égard. Les ONG, déjà en manque de moyen dans leur travail de réinsertion des enfants-soldats officiels, ne peuvent se préoccuper de ceux issus des milieux mafieux qui demeurent donc des enfants-soldats inconnus.
Entretien mené et article rédigé par François Jarlot
Cet article n’engage que son auteur.