Entretien avec Louise Mottier, auteure des Conquérants : Avec les mineurs non accompagnés.

Louise Mottier a passé ses dernières années auprès de mineurs non accompagnés d’abord à Gênes, puis à Marseille. Son expérience en tant que chargée d’accompagnement l’a poussée à écrire cet ouvrage, témoignant des conditions dans lesquelles vivent les mineurs réfugiés une fois arrivés en Europe.

Après avoir été bénévole puis après avoir réalisé son stage de Master 2 au Secours Catholique, Louise Mottier s’est engagée avec le Corps européen de solidarité au sein d’une association en Italie. Au sein des centres, les missions consistent à soutenir scolairement les mineurs, mais également à aider les jeunes dans leurs démarches administratives concernant leur régularisation, l’accès aux aides sociales et médicales. Il arrive également que des jeunes majeurs soient pris en charge. En effet, les jeunes intégrés sur le marché du travail sont souvent en premier emploi précaire, de courte durée ou avec un salaire d’apprenti, ne leur permettant pas de vivre convenablement. Leur prise en charge après 18 ans devrait être normale. Un autre problème réside dans le fait que certains jeunes soient encore en apprentissage de la langue, ou qu’ils ne soient pas encore autonomes financièrement, ce qui écarte leurs perspectives pour l’Université.

Louise nous témoigne d’expériences enrichissantes. Accompagner les mineurs est néanmoins un métier difficile. Cela l’est notamment pour les mineurs, qui étaient plus de 100 dans le même centre lors de son expérience à Marseille, pour un seul psychologue présent moins de dix heures par semaine. Il devient donc naturellement difficile de créer des liens et des moments intimes avec les mineurs, alors qu’ils ont vécu des moments traumatisants sans avoir pu être pris convenablement en charge psychologiquement. D’autre part, le manque de reconnaissance par les autorités et le manque de financement rend le métier d’accompagnateur plus difficile, et pousse souvent à quitter la profession prématurément pour se tourner vers d’autres voies.


Comment la reconnaissance de la minorité se fait en Europe ?

En France, la « présomption de minorité » est loin d’être la règle. En effet, les jeunes n’ont souvent pas leurs papiers, les ayant perdus lors de leurs nombreux déplacements, ou n’en ayant pas à l’origine. En règle générale, les autorités considèrent que les papiers doivent être en règle pour être pris en charge, ce qui n’est pas garanti tant que la minorité n’est pas prouvée. Les administrateurs ne laissent pas beaucoup de temps aux mineurs pour faire traduire leurs papiers par des interprètes, et ils bénéficient de très peu d’aide juridique. Avant d’être évalués, tous les jeunes que Louise a rencontrés à Marseille ont passé plusieurs semaines voire plusieurs mois à la rue. Puis, ils ont été évalués par des psychologues et des psychiatres, mais également via des tests osseux ne prenant pas en compte les retards et avances sur la croissance, et comportant des risques d’irradiation. Surtout, les tests auxquels sont soumis les mineurs isolés durent plusieurs semaines et font perdre du temps à ces jeunes qui auraient pu être pris en charge de manière convenable. Les jeunes déclarés mineurs ne sont pas déclarés majeurs pour autant, et cela crée un vide juridique, rendant plus difficile encore leur prise en charge.

En Italie, le doute sur l’âge des jeunes isolés est moins la règle qu’en France. Les tests osseux et dentaires ne sont commis qu’en cas d’enquête.


Les mineurs isolés se sont-ils ouverts à vous ? Comment se sont-ils exprimés ?

Les mineurs accueillis dans les centres se sont très vite ouverts, et ils ont chacun leur façon s’exprimer. La crise sanitaire a contribué au rapprochement  des équipes et des mineurs du centre, les journées s’étant allongées pour éviter les déplacements inutiles. Louise est arrivée seule sans parler italien. Cela lui a permis d’échanger plus facilement et d’apprendre la langue en même temps que des mineurs isolés. L’apprentissage des tâches de tous les jours (cuisine, ménage, devoirs) est un excellent moyen de rapprochement, tout comme les déplacements en voiture qui ont créé des moments d’intimité.


Votre ouvrage est un témoignage.  Est-il une opportunité “d’humaniser” un peu plus la vision pragmatique que nous avons de la “crise de l’accueil” ?

Au-delà des connaissances scientifiques, le but de cet ouvrage est de sortir du cadre scolaire pour humaniser les jeunes que Louise a rencontrés en décrivant leurs noms, leurs traits de caractère, leur vie de tous les jours. Elle souhaite que le lecteur puisse les imaginer et comprendre les liens d’amitié qu’elle a pu forger. Les jeunes sont considérés comme des rencontres plutôt que des objets d’étude, et ils ont eux aussi appris des échanges qu’ils ont eus avec Louise.


Considérant les prises de position des personnalités politiques, un accueil des réfugiés plus large serait-il possible ?

Les derniers rapports de l’OCDE montrent que les migrations apportent plus de richesses culturelles et économiques qu’ils n’en coûtent à l’État. Les jeunes travaillent très vite et cotisent pour la retraite ; ils dynamisent des secteurs qui nécessitent beaucoup de main d’œuvre en France. Il s’agit surtout d’une question de volonté politique : nous déplorons les drames aux frontières grecques et italiennes, en oubliant les conditions dans lesquelles transitent les jeunes immigrés en France.


Cet article n’engage que son auteur.
Par Hussein Malamelli.

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