Si spontanément la place des enfants nous apparait aux côtés de leurs parents, en France, plus de 300 000 enfants sont confiés à l’Aide sociale à l’enfance, placés dans des familles d’accueil, des hôtels, ou des foyers.
Ce sont des enfants maltraités pour certains, abandonnés pour d’autres ; des enfants seuls, en danger que l’État a pour mission de protéger. Ce sont des enfants brisés pour qui la vie est semée d’embuche, parfois dès leurs premiers jours de naissance. Les enfants de l’ASE peuvent être placés à n’importe quel âge, sur décision du juge des enfants, pour une durée limitée ou non. Certains passeront leurs 18 premières années de vie, celles que l’on dit déterminantes dans la construction de la personne, à errer de foyers en foyers, de villes en villes, et ce parfois sans aucun repère familial sain dans leur entourage.
Pourtant, ce que l’on appelle la protection de l’enfance ne protège pas toujours : le foyer n’est pas toujours un abri.
Les dessous des établissements d’accueil et de protection de l’enfance sont dans les faits glaçants. Les locaux sont souvent insalubres, les jeunes entassés. Les enfants ne peuvent grandir sereinement dans un lieu de vie austère, au sein duquel aucune chaleur de vie ne se dégage.
À la fonction du parent se substitue celle de l’éducateur spécialisé, profession nécessitant un bac +3, et qui résulte généralement davantage d’une véritable vocation que d’une ambition salariale. Si la majorité de ces derniers sont d’une humanité inouïe, malgré leurs misérables conditions de travail, certains peuvent se montrer violents avec les jeunes. Comment accepter qu’un enfant puisse être placé, arraché de son environnement familial maltraitant, pour que se reproduisent à l’identique les violences qu’il subissait dans le cocon que l’État lui offre en guise de protection ?
Les foyers semblaient être une forme de huis clos dans lequel la violence est banalisée. On sait par de nombreux documentaires et enquêtes médiatiques que pour postuler en tant qu’éducateur dans un établissement d’accueil de l’enfance en danger, il n’y a pas toujours besoin de diplôme. Les enfants placés sont à la merci de tout le monde.
L’horreur des foyers de l’enfance n’a été révélée que très tard, et malheureusement la prise de conscience générale est encore trop lointaine. Il semble falloir des événements tragiques pour que la réalité des jeunes de l’ASE intéresse les médias et plus largement l’opinion publique et politique. Pensons notamment à Jess, 17 ans, qui en 2020 a été poignardé à mort par un autre jeune, alors qu’ils étaient tous deux placés dans un hôtel insalubre, seuls parmi d’autres jeunes, dans des chambres minuscules sans aucune présence d’éducateurs. Faut-il vraiment blâmer le jeune qui a tué, ou plutôt faudrait-il condamner tout un système étatique défaillant, qui révèle une société qui, au lieu de protéger ses enfants, les laisse s’entretuer ?
Comment se fait-il que des ceux-ci soient en danger de mort sous la « protection » de l’aide sociale à l’enfance ?
Face aux nombreuses preuves des défaillances terrifiantes de ce système et à la prise de conscience progressive des responsables politiques, une nouvelle loi relative à la protection de l’enfance a été adoptée le 7 février 2022. Elle ne fait que fixer ce qui parait pourtant avoir toujours été essentiel. Parmi ses dispositions, la loi Taquet prévoit l’interdiction de séparer les frères et sœurs, qui devront donc être toujours placés ensemble. Il sera enfin obligatoire de ne pas arracher à un enfant sa seule attache familiale et affective. Surtout, d’ici 2024, la loi prévoit l’interdiction de placer des mineurs dans des hôtels, cette pratique étant jusqu’alors devenue la norme dans certains départements. Enfin, le suivi des jeunes ne s’arrêtera plus à 18 ans mais à 21 ans. Jusqu’ici, l’anniversaire des 18 ans d’un jeune de l’ASE n’était pas un jour de fête comme pour tous les autres enfants, mais un jour d’angoisse avec obligation de préparer ses valises, puisque le lendemain, pas question de rester sous l’égide de l’ASE : départ instantané. Notons qu’un quart des personnes sans-abri sont d’anciens enfants placés.
Il ne reste plus qu’à espérer que l’avenir des enfants placés devienne une préoccupation centrale du pouvoir politique, qui puisse leur permettre une vie non plus dangereuse mais chaleureuse, paisible, et surtout heureuse.
Cet article n’engage que son auteur.
Indira Dortes
Source image : RTS info