Septième épisode de notre série sur le tour du monde des droits des enfants : nous vous présentons aujourd’hui la situation des enfants en Argentine. Bonne lecture!
En novembre 2018, le gouvernement de la province de Jujuy, au nord de l’Argentine, a autorisé ses compagnies de tabac, plantations et groupes du secteur textile à employer des enfants âgés de 10 à 17 ans pour maximiser leurs profits. Alors que la Conférence mondiale sur le travail des enfants s’était tenue à Buenos Aires seulement un an plus tôt, un député du parti au pouvoir, Marcelo Nasif, justifie cette décision en expliquant que « les outils de travail ne tuent personne, et encore moins dans ce pays. C’est une bonne chose que nous apprenions tous, car il y en a qui ne savent même pas reconnaître une pelle ». Sous la seule condition de l’accord de leurs parents, 45 mineurs ont donc pris le chemin de ces exploitations.
La situation du pays, facteur de l’inefficacité des droits de l’enfant
Si les droits de l’enfant sont reconnus juridiquement par le pays, différents facteurs sont ainsi venus bouleverser leur concrétisation. La polémique de Jujuy, phénomène de « valorisation positive » du travail des enfants, est de fait le symptôme visible d’une réalité socio-économique désastreuse. C’est pour contrer les effets de la crise économique de 1998 sur les foyers argentins que l’on tente de légitimer le travail infantile comme mode de préparation à la vie adulte. En prenant en compte le travail informel, selon une enquête du Ministère du Travail argentin, un enfant sur dix travaillait en 2017.
Dans ce pays de plus de 45 millions d’habitants, ce sont donc les enfants qui souffrent en premier de la dette d’une économie prête à hypothéquer leur futur pour privilégier le présent. Une enquête de l’INDEC (l’institut national de statistiques et de recensement d’Argentine) nous en montre les conséquences : en 2019, 52.2% des moins de 14 ans étaient en situation de vulnérabilité dans le pays. Parfois privés de toit, de nourriture, et de scolarité, les enfants vivent davantage la pauvreté que le reste de la population.
En chiffres :
– 19 % des enfants ne vont pas à l’école, dans la plupart des cas par faute de moyens financiers
– 24.7% des enfants n’ont pas accès à l’eau potable et aux sanitaires
– 17% des enfants sont au cours de leurs premières années de vie dans une situation de fragilité émotionnelle et intellectuelle (Humanium – 2017)
La violence
Cette pauvreté trouve ses symptômes dans d’autres phénomènes, notamment celui d’une violence protéiforme (émotionnelle, morale, physique…) et omniprésente. Elle les menace d’abord au domicile, quand 70% des foyers argentins utilisent des méthodes d’éducation violentes, comme des agressions verbales et des châtiments physiques (ECOVNA – 2012).
La violence éducative prend aussi place à l’école, où les élèves sont fessés et parfois battus s’ils n’obéissent pas, et ce dès les jardins d’enfants.
La violence se fait enfin sexuelle et menace surtout les jeunes filles harcelées et agressées par des enseignants, des représentants de l’autorité, des amis ou par leurs plus proches parents. Le travail infantile va également souvent de pair avec une exploitation sexuelle invisibilisée et impunie.
Dans un pays où la protection des enfants est pourtant garantie par la CIDE, la violence se fait norme pour les mineurs. Ce phénomène est d’ailleurs peu prévenu par les autorités, encore une fois faute de budget depuis la crise de 1998 qui a mené à l’effondrement de l’économie argentine, endettée de plus de 140 milliards de dollars. Reste de cette crise une difficulté pour l’État argentin à définir son projet de loi de finances, souvent au sacrifice des budgets alloués à l’éducation et à la prévention des violences.
L’endettement humain
L’Argentine s’endette donc auprès de l’enfance, et tout particulièrement auprès des enfants des communautés indigènes. Sans mesures de protection et dans l’impossibilité de revendiquer leurs droits, ils souffrent de leur isolement.
À Tucumán par exemple, au Nord-Ouest du pays, les familles logent dans des abris de misère et sont régulièrement chassées par les autorités. Nombreux sont les enfants tués, alors que, condamnés à une pauvreté extrême, ils tentent de défendre leur territoire.
Plus récemment, entre janvier et mars 2020, les wichis ont dû enterrer dix de leurs enfants, décédés de malnutrition ou de causes associées. Retranchée au Nord-Est, dans la région la plus pauvre du pays, cette communauté avait été décimée au siècle dernier par les blancs d’ascendance européenne. Aujourd’hui, ils doivent survivre sans eau potable, en proie à de nombreuses maladies parasitaires telle que la maladie de Chagas, dans un climat extrême se divisant entre un été torride et un hiver vigoureux.
Les enfants dénutris font face à l’oubli des autorités argentines, qui ne leur livrent ni eau ni nourriture et les isolent de la population. Si les mères d’enfants de moins de 6 ans peuvent recevoir une aide de l’État de 2600 pesos par mois (soit environ 37 euros), c’est seulement à condition d’avoir des papiers en règles, ce qui reste rare dans une communauté qui ne parle souvent que wichi et qui peine à accéder à l’administration du pays. Quand les enfants malades sont pris en charge, ce n’est alors que par des centres de santé démunis, souvent sans ambulance et en manque de produits d’hygiène élémentaire.
Une volonté de progrès
Sans un renouvellement systématique de la considération de l’enfance dans le pays, il semble donc difficile de lutter contre la pauvreté, qui prend aujourd’hui le visage de ses enfants. Le processus de paupérisation du pays se répercute directement sur les enfants, les exposant aux risques du travail infantile, qu’il soit informel ou légal, aux violences physiques, morales et sexuelles, aux dangers sanitaires et même parfois au trafic humain et au tourisme pédophile pour les enfants disparus de Bolivie et du Paraguay.
Une volonté de progrès est néanmoins perceptible. Dans un rapport de 2018, le Comité des Droits de l’enfant des Nations Unies félicitait en effet l’Argentine de l’élaboration d’un Plan national d’action en faveur des droits des enfants et des adolescents. Il appelait toutefois l’état à renforcer son investissement social pour l’enfance et à l’engager dans une politique plus globale, en sollicitant notamment une coopération technique auprès de l’UNICEF et en nommant un défenseur national des enfants. Il nous reste à espérer que la volonté devienne réalité.
Par Églantine Cami.
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